Apprendre à inhiber à l’école, une nécessité pour tous !
La pédagogie de l’inhibition, quoi et pourquoi ?

Dans cet article, Learning Brain s’attaque à un sujet d’envergure : la capacité des élèves à inhiber tous les pièges qu’il rencontre à l’école. 🥊

Après une petite introduction, nous définirons brièvement les fonctions exécutives et présenterons le modèle de Houdé et Borst. Ensuite, nous nous intéresserons de plus près à la pédagogie de l’inhibition.

Allez, c’est parti !

Appel à la résistance cognitive

A l’école, l’élève accumule des connaissances, il pratique et automatise ses apprentissages. C’est bien ! Mais il manque un élément essentiel: pouvoir inhiber les automatismes quand cela s’avère nécessaire.

Heu… je ne comprends pas où tu veux en venir…

T’inquiète, on t’explique avec quelques exemples concrets d’automatismes de pensée chez les élèves (exemples tirés de Lubin, Lanoë, et coll. (2012) ou de nous 😛) :

T’as compris où se situe le problème ?

Les élèves doivent pouvoir résister à des automatismes du style “on met un S après LES”. Et ça, c’est grâce aux fonctions exécutives (l’inhibition plus particulièrement) que c’est possible !

Ces fonctions sont de plus en plus étudiées. On reconnaît leur rôle dans :

Elles ont donc une importance capitale ! Mais elles ont du mal à se faire une place de choix à l’école.

Les fonctions exécutives (FE) et le modèle de Houdé

C’est quoi les fonctions exécutives ?

Ces fonctions cognitives trouvent leur siège au niveau du cortex préfrontal.

Les FE “comprennent des fonctions de régulation et de contrôle comme la possibilité d’initier un comportement et d’inhiber les actions ou les stimuli en compétition” (Zorrilla-Silvestre & al., 2016).

Miyake & coll. (2000) les définissent comme « l’ensemble des processus permettant à un individu de réguler de façon intentionnelle sa pensée et ses actions afin d’atteindre des buts ».

Comme un chef d’orchestre dans notre cerveau, elles contrôlent :

Le modèle de Houdé

Ce psychologue, enseignant et chercheur s’intéresse de près au fonctionnement exécutif et, plus particulièrement, à l’inhibition. Il a d’ailleurs publié un livre génial qu’on vous conseille : “Apprendre à résister”.

Selon lui, il existe 3 systèmes cognitifs :

1. Le système 1 appelé “système heuristique”: il s’agit de nos pensées automatiques. Elles sont basées sur des stratégies et des connaissances apprises antérieurement.

Cette pensée arrive très rapidement mais n’est pas fiable à tous les coups. 🚀

2. Le système appelé “système algorithmique” : il s’agit de nos pensées réfléchies et raisonnées. Elles viennent moins rapidement mais elles sont fiables à tous les coups. 🐢

Ces deux systèmes peuvent entrer en compétition à tout moment. Des connaissances anciennes entrent en conflit avec les nouvelles. Il s’agit de conflits cognitifs. Penser “correctement” nécessite parfois de prendre un peu de recul et de mettre un STOP.

Et c’est là qu’intervient le dernier système.

3. Le système 3 : l’inhibition : il permet d’interrompre le système heuristique pour activer le système d’algorithme. Il a un rôle d’arbitrage pour stopper notre heuristique quand c’est nécessaire. 🛑

Il permet d’éviter les automatismes de pensée qui peuvent s’avérer problématiques dans certaines situations. En effet, chaque jour, nous sommes confrontés à des tas d’informations et nous devons prendre de nombreuses décisions. Pour gérer ces aspects correctement, il nous faut entraîner notre cerveau à résister, analyser et trier les informations. Houdé appelle “résistance cognitive” cette capacité à penser “contre soi” (= contre nos automatismes de pensée).

Tu l’as compris, les FE jouent un rôle essentiel pour chacun de nous. Par ailleurs, elles sont souvent touchées dans les troubles neurodéveloppementaux (TND). Nous nous posons alors une question : si l’école d’aujourd’hui se veut inclusive (pour donner à tous les moyens d’apprendre), n’est il pas urgent de former les enseignants aux fonctions exécutives ?

La pédagogie de l’inhibition : apprendre à résister à l’école

Selon Houdé, apprendre c’est résister. Il faut donc éduquer les petits cerveaux pour qu’il parviennent à résister à leurs automatismes de pensée. Et ce, de manière explicite !

Plusieurs initiatives vont déjà dans ce sens :

Vers une pédagogie de l’inhibition : l’attrape-piège (Lubin, Lanoë, et coll. (2012))

Il s’agit ici de tenir compte du contrôle inhibiteur dans l’acquisition des connaissances afin d’éviter à l’élève de tomber dans les pièges qu’il rencontre à l’école. L'entraînement explicite de l’inhibition fait donc partie des apprentissages scolaires, au même titre que les mathématiques ou l’histoire, par exemple.

Ok… et donc ?

Parlons peu, parlons bien … Il s’agit en fait de faire de la métacognition avec l’objectif de développer une méthode de travail centrée sur le contrôle cognitif et la détection de conflits. Le laboratoire LaPsyDé (qui a notamment testé l’efficacité d’un apprentissage de l’inhibition) appelle cette intervention pédagogique “apprentissage méta-exécutif”, mêlant donc métacognition et fonctionnement exécutif.

Concrètement, comment ça se passe ?

Reprenons un des exemples mentionnés au début de l’article : “Louis a 4 dizaines, Léa 35 unités. Qui a plus d’éléments ?”

Le piège : se laisser aller à notre heuristique qui dit que 35 est plus grand que 4 et donc, que Léa a le plus d’éléments.

La règle : 4 dizaines = 4x10 = 40 > 35

Notre heuristique entre donc en conflit avec l’algorithme/la logique.

Rôle du système inhibiteur : Mettre un STOP et se rappeler que, pour pouvoir comparer deux choses, il faut qu’elles soient indiquées dans la même unité.

Bon ok, l’exemple est clair, on comprend bien la situation problème. Mais ça ne nous dit pas comment faire pour amener les élèves à utiliser leur système d’inhibition.

Pas de panique, on y vient !

Olivier Houdé propose un matériel pour entraîner l’inhibition et éviter les pièges : l’attrape-piège.

La pédagogie de l’inhibition (ou l’apprentissage méta-exécutif) utilise ce matériel et se déroule en 3 étapes.
Nous allons vous les détailler en reprenant l’exemple ci-dessus : “Louis a 4 dizaines, Léa 35 unités. Qui a plus d’éléments ?”

1. On alerte les élèves sur le piège à éviter et on leur explique.

Parfois, il nous est impossible de comparer deux quantités parce qu’elles ne sont pas indiquées dans la même unité. Exemple, si on compare 4 dizaines et 35 unités, certains élèves diront que 35 unités est plus grand que 4 dizaines. Mais ils se trompent parce qu’ils ont l’habitude, selon l’ordre des nombres, que 35 soit plus grand que 4. Mais c’est un piège ici parce que 35 et 4 ne sont pas présentés dans la même unité.

2. On rappelle la règle.

Pour pouvoir comparer deux quantités, il faut les replacer dans la même unité.
Pour notre exemple, on peut tout remettre en unités.
35 unités = 35 unités
4 dizaines = 40 unités
Maintenant, on peut les comparer. Et 35 est plus petit que 40. Louis a donc plus d’éléments que Léa.

3. On propose à l’élève de se mettre en action en manipulant l’attrape-piège.

Pour l’enseignant, il s’agira donc :

Il s’agit de faire des pauses à des moments stratégiques (comme après un chapitre, au début ou à la fin d’un cours, …) où le jeune va réactiver l’information qu’il vient d’écouter, voir, …

Exemples de réactivations :

“Oui mais quel lien avec l’attrape-piège ?”

Minute papillon, on y vient ! En fait, il s’agira ici de “réactiver les pièges” en demandant au jeune de les reconnaître parmi des non-pièges.

Un exemple peut-être ?

On demande à l’élève de souligner les énoncés qui représentent un piège :

L’objectif est que le jeune n’ait plus besoin de l’adulte pour repérer les pièges ET qu’il ait suffisamment entraîné son cerveau que pour pouvoir mettre son STOP au moment opportun. Mais, évidemment, ça prend du temps ! Rome ne s’est pas faite en un jour…

En conclusion ...

Apprendre ne se limite pas à accumuler des connaissances et compétences. Il s’agit aussi de pouvoir résister à nos automatismes de pensée. Dans ce cadre, apprendre à inhiber est donc une nécessité pour TOUS !

SOURCES :

  • Lubin, Lanoë, et coll. (2012). Apprendre à inhiber : une pédagogie innovante au service des apprentissages scolaires fondamentaux (mathématiques et orthographe) chez des élèves de 6 à 11 ans. 

Marie Baccus et Laura Bertleff, pour Learning Brain